dimanche 6 mars 2011

Petit tour sur Loppsi 2 concernant l'habitat alternatif

Que penser de la fameuse loi LOPPSI 2 pour les adeptes des habitats alternatifs, pratiquants ou non ? En effet, on entend beaucoup de choses à propos de cette loi qui « interdirait désormais les yourtes »

Voilà l’article dernière mouture sur le problème des « habitats insalubres ». qu’en est-il précisément, une petite analyse juridique s’impose pour commencer :

PROJET DE LOI d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Du 8 février 2011.

CHAPITRE VII

Dispositions relatives aux compétences du préfet de police et des préfets de département

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Article 32 ter A

I. – Lorsqu’une installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée en vue d’y établir des habitations comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut mettre les occupants en demeure de quitter

les lieux.

La mise en demeure est assortie d’un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou titulaire du droit d’usage du terrain.

Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé et n’a pas fait l’objet d'un recours dans les conditions prévues au II, le préfet peut procéder à l’évacuation forcée des lieux, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure. Le cas échéant, le préfet saisit le président du tribunal de grande instance d’une demande d’autorisation de procéder à la destruction des constructions illicites édifiées pour permettre l’installation en réunion sur le terrain faisant l’objet de la mesure d’évacuation. Le président du tribunal ou son délégué statue, en la forme des référés, dans un délai de quarante-huit heures.

Lorsque le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain fait obstacle à l’exécution de la mise en demeure, le préfet peut lui demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publiques, dans un délai qu’il fixe. Le fait de ne pas se conformer à l’arrêté pris en application de l’alinéa précédent est puni de 3 750 € d'amende.

33 –

II. – Les personnes destinataires de la décision de mise en demeure prévue au I, ainsi que le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif. Le recours suspend l’exécution de la décision du préfet à leur égard. Le président du tribunal ou son délégué statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine.

III. – L’article 226-4 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Est puni des mêmes peines le fait d’occuper le domicile d’autrui,

hors les cas où la loi le permet, sans l’autorisation du propriétaire ou du locataire, après s’y être introduit dans les conditions mentionnées à l’alinéa précédent, et de ne pas le quitter immédiatement à la requête du propriétaire ou du locataire. »

D’abord, il est clair, comme une bonne partie de la législation de notre cher gouvernement que les différentes dispositions de ce projet sont dirigées vers des populations précises :

Qui sont donc les personnes visées par une « installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée en vue d’y établir des habitations » ?...

On aurait du rajouter « habitations mobiles comportant des roues double essieu et des machines à laver dans des remorques » pour être plus clair contre les gens du voyage. Cela aurait au moins eu le bénéfice de la franchise. Le président n’aime pas les Roms et veut les renvoyer en Roumanie, on l’a assez dit.

Qu’en est-il pour les autres adeptes d’habitat mobile ou alternatif ? En l’état actuel de la loi, n’oublions pas que cette loi n’est pas promulguée, elle n’est donc pas encore applicable. Pour le moment, voici quelques arguments juridiques qui, s’ils sont bien défendus devant un juge, devrait permettre de noyer quelque peu le poisson puisque cette loi, comme tant d’autre, étant purement politique navigue dans un grand flou juridique.

- « installation» : Il ne s’agit pas de construction, mais bien d’installation, donc le simple fait de poser une caravane, ou stationner un véhicule suffit. On pourrait toutefois défendre qu’une installation doit avoir fait l’objet de travaux même modestes d’ancrage dans le sol ou d’une modification quelconque du terrain, le simple stationnement pourrait ne pas être visé.

- « illicite » : comment une installation peut-elle être illicite : au titre de quelle réglementation ?

o Sur la voie publique : Le code de la route interdit le stationnement plus de 5 jours consécutifs au même endroit. Dès le 6eme jour, l’installation peut être considérée comme illicite.

o Sur un terrain privé, l’hypothèse parait plus délicate. Si l’occupant est propriétaire ou locataire, il ne devrait pas être possible de l’expulser puisqu’il est autorisé à utiliser le terrain. Si toutefois le bail lui interdit expressément de poser une caravane (pourquoi pas ?), on est alors dans un cadre purement contractuel, et le préfet n’a rien à voir là dedans. En cas de squat, cette loi est inutile puisqu’il est possible de déloger des squatteurs, certes avec un peu de mal, et quelques garanties ce que cette loi a bien l’intention de supprimer.

o Au titre de la réglementation sur l’urbanisme. Faut-il que le terrain soit situé dans une zone d’urbanisme qui interdise toute occupation à titre d’habitation ? par exemple se situer dans une zone naturelle ? Aucune idée, la loi ne le dit pas.

- « en réunion » : cette notion est issue du droit pénal et constitue une circonstance aggravante d’une infraction. C’est d’ailleurs amusant de voir l’utilisation d’un concept pénal pour l’installation de caravanes, rappelons-nous les raisons de cette loi : chassons les caravaniers qui sont des voleurs de poules.

Code pénal, article 311-4 :

« Le vol est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende :

1° Lorsqu'il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice, sans qu'elles constituent une bande organisée. »

L’expression « en réunion » n’est toutefois pas utilisée expressément dans le code pénal et n’a donc aucune définition applicable ici. En effet, si une seule personne sur un terrain ne pourrait pas être visée par cette loi, comment les juges vont-ils interpréter ce terme « en réunion » : à partir de 2 personnes ? 2 caravanes ? Et s’il y a 2 personnes dans 1 caravane, ou 1 personne dans 2 caravanes ?...

- « Sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée ». Qu’en est-il d’un campement sur un terrain appartement à une SEM (société mixte publique-privée ?...) là c’est juste pour chipoter ;)

- « en vue d’y établir des habitations » : qu’est ce qu’une habitation ? Définition qui peut paraître simple, sauf si on veut se défendre d’être visés par cette loi. Entend-on ici une habitation définitive avec reconnaissance du terrain comme étant à usage d’habitation ? Ou juste un hébergement temporaire et précaire ? La loi cite le terme « habitation », il faut donc à mon avis défendre qu’il ne s’agit que d’un hébergement temporaire : les raccordements eau, électricité et Poste peuvent participer à constituer l’habitation. Mais des locaux commerciaux peuvent aussi être raccordés. La seule chose vraiment claire serait que le terrain soit déclaré comme domicile aux services fiscaux. Dans ce cas, on voit mal comment défendre qu’il ne s’agit pas d’habitation ; même si certains se domicilient dans des locaux professionnels pour des raisons pratiques.

- Autre problème, l’utilisation du terme « en vue de » : on est bien là dans l’arbitraire puisqu’il s’agit de connaître l’intention de l’intéressé, exercice hautement périlleux.

- « comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques » Nous voilà là-aussi dans l’arbitraire. Où s’arrêtent ces notions ? A part certaines situations alarmantes d’un bidonville prêt à s’enflammer, ou d’un campement desdits voleurs de poules qui laisseraient des détritus partout, cet argument peut-il être utilisé pour un paisible campement de yourtes bien entretenu ? A priori non, mais là encore, comment les juges vont interpréter cette phrase ?....

- « Affichages » : la mise en demeure doit être notifiée aux occupants et affichée sur le terrain. Bien entendu, si la mise en demeure n’est pas faite par huissier, et si le préfet ne peut justifier de l’affichage régulier par 2 ou 3 constats d’huissier sur place et en mairie, la procédure est nulle. Il faut en effet un constat d’huissier au début du délai de 48 heures, un à la fin, et un au milieu pour être sûr que l’affichage a été continu. Et n’allez pas arracher l’affiche dès que l’huissier a le dos tourné….

- Notification aux intéressés et au propriétaire ou au titulaire du droit d’usage : là aussi, c’est un point à vérifier : il faut une notification d’huissier au propriétaire, qui ne sera pas forcément facile à trouver. Le préfet devra aussi notifier la mise en demeure au titulaire du droit d’usage. Encore une astuce, dans le cas où les occupants sont aussi locataires, ils devront recevoir 2 notifications. Là aussi, s’il en manque une, c’est la nullité de la procédure.

- Droit de recours : dans le délai de 72 heures, il est possible de demander l’annulation de la mise en demeure au Tribunal Administratif. Autant dire qu’il vaut mieux anticiper la menace de mise en demeure et préparer un recours à l’avance qu’on ira déposer précipitamment au tribunal dans la demi-heure suivant le départ de l’huissier. Toutes les remarques précédentes peuvent être utilisées pour démontrer que la mise en demeure est irrégulière.

- « sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure. » Après les risques d’arbitraire, on arrive ici au blocage de cette loi : le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage peuvent refuser l’expulsion. Il est donc clair qu’il ne s’agit là que de squatters. Les propriétaires de terrains ou les locataires n’ont donc aucun risque de se voir expulsés en l’état actuel de la loi puisqu’ils peuvent s’y opposer. L’occupant régulier doit donc notifier son refus le plus vite possible, par huissier bien entendu, au préfet.

- Une fois l’expulsion effectuée, le préfet saisit le président du tribunal de Grande Instance d’une demande de destruction des installations. Les CRS ne peuvent donc en aucun cas détruire les installations le jour même de l’expulsion ou alors avec la double autorisation du juge administratif d’une part pour l’expulsion et du juge du TGI d’autre part pour la destruction des caravanes et cabanes.

- Enfin si le propriétaire refuse l’expulsion, le préfet peut lui « demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les atteintes… » Pas de sanctions particulières ici sauf ce qui existe déjà en matière d’injonction préfectorale pour les immeubles menaçant ruine par exemple.

Conclusion : les CRS n’ont pas eu besoin de cette loi pour expulser les camps de Roms cet été. A quoi va-t-elle donc servir ? En l’état actuel, avec un bon avocat et un terrain irréprochable, je pense qu’il n’y a pas de risque pour un habitat alternatif type yourte, cabane, etc.

On peut donc penser qu’il s’agit encore une fois d’une loi vitrine d’un gouvernement habitué à légiférer pour les médias et « l’opinion publique » et non pour des raisons de bonne gouvernance. Elle peut toutefois constituer un chantage des pouvoirs publics contre une installation qui ne les arrangent pas.

Toutefois le maire dispose déjà d’une capacité de nuisance autrement plus importante en matière d’urbanisme. Les expulsions de constructions alternatives sont faites sur la base des règlements d’urbanisme et la loi Loppsi n’aggravera pas forcément la situation vue le nombre restreint de conditions dans laquelle elle peut s’appliquer.

L’enjeu dans ce domaine de l’urbanisme dépasse cette tentative de loi « anti Roms » assez bucolique. Il s’agit plutôt d’aménagement des territoires pour des décennies, de choix de société sur les normes applicables en matière de construction, de politique de logements, de zonage et donc de transport et de terres agricoles, de constructions d’infrastructures et de développement économique, des vraies questions qui ne peuvent pas être débattues au journal de 20 heures…